A l'occasion de la projection de Personal Shopper lors du Festival International du Film de Toronto 2016 (TIFF16), le réalisateur français Olivier Assayas évoque Kristen Stewart, leur collaboration, le film et le Festival de Cannes dans une interview avec Crave Online.
Traduction faite par le staff de KStew France. Merci de nous créditer avec LIEN si vous la reprenez ailleurs
TIFF 2016 – Olivier
Assayas à propos de Personal Shopper
et le fait de retirer le glamour chez Kristen Stewart
Le
réalisateur primé explique la raison pour laquelle il continue de
caster Kristen Stewart comme assistante personnelle.
Le
réalisateur français Olivier Assayas a réalisé des films
dramatiques acclamés depuis des décennies, mais peu ont provoqué
autant la division que Personal Shopper, un drame d'horreur
dans lequel apparaît Kristen Stewart dans le rôle d'une assistante
personnelle d'un modèle professionnel qui est en contact avec le
surnaturel. Personal Shopper a été diffusé en avant
première avec des standing ovations mais également de fortes huées
lors du Festival du Film de Cannes 2016, où Assayas a finalement
remporté le prix du Meilleur Réalisateur (qu'il a partagé avec
Cristian Mungiu, qui a réalisé Graduation).
Après une réaction
comme cela, il n'y avait pas moyen que je manque Personal Shopper
lors du Festival International du Film de Toronto, et bien sûr, j'ai
trouvé que le film était une sage méditation sur notre relation
avec la mort et l'anxiété, soutenu par au moins l'une des scènes
les plus effrayantes dans la mémoire récente. Plus tard, j'ai
rencontré Olivier Assayas pour discuter de la réception
controversée du film, des connections qu'il établit entre la
technologie et la spiritualité et la raison pour laquelle – pour
la deuxième fois consécutive, après l'acclamé Clouds Of Sils
Maria – il a casté Kristen Stewart dans le rôle d'une
assistante personnelle.
Journaliste :
Cela peut sembler être une question étrange mais je voulais
commencer ici … Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire un film
à propos du shopping ?
Olivier Assayas :
[Rires] Je ne pense pas … Je ne pense pas que j'ai fait un film à
propos du shopping. Peut être qu'un jour j'en ferais un. Mais vous
savez, il s'agit d'un film à propos de la tension entre, évidemment,
le genre de boulot que les gens ont et leurs aspirations, qui sont
beaucoup plus, peut être, un peu plus ambitieuses ou complexes. Je
pense que je voulais que le personnage de Maureen ait, pas exactement
le travail le plus stupide, mais certainement le travail le plus
aliénant. Je ne pense pas qu'il s'agisse simplement de shopping pour
une célébrité, je pense pas qu'il y ait quelque chose qui soit
plus aliénant que cela.
Alors ouais, ce n'est pas
que j'ai [quelque chose] de mal à dire sur l'industrie de la mode,
mais tout de même, c'est devenu l'incarnation de quelque chose qui a
à voir avec le matérialisme et l'argent et une culture de la
célébrité et ceci et cela. Donc, je pense que c'est assez facile
de comprendre la raison pour laquelle quelqu'un comme Maureen, comme
son personnage, a une relation difficile avec ce travail et ce monde.
Journaliste :
Elle semble être en quelque sorte séduite par cela, mais
pensez-vous que cela soit symptomatique de ses inquiétudes à propos
du fait de vivre sa propre vie ?
Olivier Assayas :
Je pense que nous avons tous une relation ambivalente avec le monde
moderne. Nous le décrivons comme matérialiste, nous le décrivons
comme obsédé par la superficialité, bien sûr, mais en même
temps, nous sommes attirés par celui-ci. Nous ne disposons pas d'un
rejet complet de celui-ci. Nous sommes en quelque sorte une partie de
celui-ci. Et il en va de même pour elle, mais nous avons affaire à
un personnage qui est … Elle n'a pas seulement perdu son frère,
cela ressemble plus au fait qu'elle a perdu la moitié d'elle-même
et elle essaie de devenir de nouveau un tout. Alors, elle recherche
en quelque sorte sa propre identité et notamment son sexe, dans le
sens où elle est sur cette ligne mince entre androgynie et féminité.
Je pense que le travail stupide qu'elle fait, acheter des vêtements
et des vêtements glamour et ceci et cela, est quelque chose qui
l'attire également dans le sens d'expérimenter sa propre relation
avec sa propre féminité.
Journaliste :
Elle a perdu son frère. Elle a perdu une partie d'elle-même. Mais
elle a la même capacité que son frère possédait et la mort à
tout moment. Il s'agit d'une peur que je connais moi-même
énormément, de manière générale. Pourquoi était-ce nécessaire
de mettre cette histoire dans un monde où les fantômes sont réels ?
Réel sans équivoque ?
Olivier Assayas :
Parce que … Je pense que c'est simplement faire quelque chose d'un
peu abstrait, de réel. Parce que nous appelons des fantômes, des
forces, des choses qui sont autour de nous, qui en fin de compte font
partie de nous. Ils font partie de notre distorsion de la réalité
qui nous entoure, d'une certaine manière. Mais nous ne devrions pas
être aveuglé par le nom de 'fantômes'. Tout est à propos de,
vraiment, la connexion avec une autre dimension du monde et nous
savons qu'il y a une autre dimension au monde parce que [touche
divers objets autour de lui] le monde matériel n'est pas la fin de
celui-ci. Donc, nous essayons tous d'explorer cela dans un sens. Ici,
nous lui donnons un nom. Nous lui donnons le nom de 'fantôme' et
oui, je suis en quelque sorte habitué à la matérialité de
celui-ci, ce qui en fin de compte dans le film est plus comme une
hallucination, mais d'une certaine manière, cela aide. Cela me
permet d'apporter quelques éléments de genre qui rendent l'ensemble
du processus un plus excitant. Il ajoute de la tension, me permet de
le placer de cette façon.
Journaliste :
Avez-vous le sentiment que vous avez travaillé correctement avec le
genre de l'horreur auparavant ?
Olivier Assayas :
Bien évidemment non, cela n'est pas le cas et celui-ci n'est
certainement pas un réel [film] de genre. Vous savez, c'est
l'histoire de Maureen, qui implique quelques éléments de genre ici
et là.
Journaliste :
Malgré tout, qu'est-ce qui vous attire à propos du genre ?
Qu'est-ce qui vous a donné envie de jouer avec ?
Olivier Assayas :
C'est parce que j'ai été incroyablement influencé par des
cinéastes de genre, c'est une partie de celui-ci et je pense que la
supériorité du cinéma de genre est la relation qu'elle entretient
avec le corps de l'audience. Je pense qu'une grande partie du cinéma
sérieux a du mal à sa connecter avec la physicalité du public,
alors que le genre, il passe simplement à travers tout le corps.
Vous réagissez, vous ne pouvez pas contrôler la réaction parfois
vis à vis du cinéma de genre. Alors ouais, je pense que les
réalisateurs qui en fin de compte avaient la plus forte influence
sur moi, si je veux être totalement honnête à ce sujet, sont des
des réalisateurs de genre – John Carpenter, David Cronenberg, Wes
Craven et d'autres.
Journaliste :
Il y a une conversation que Maureen a – je ne veux pas en dire trop
– avec la personne à l'autre bout du téléphone et ils parlent de
films d'horreur et ce qui lui fait peur à leur sujet. La théorie
est qu'elle a peur d'avoir peur. Il s'agit d'un élément du genre
d'horreur également. Je sais que beaucoup de gens ne vont pas
regarder les films d'horreur parce qu'ils n'aiment pas avoir peur.
Olivier Assayas :
Vous avez des gens qui réagissent de façon excessive [aux films
d'horreur]. Vous savez, nous avons tous des rapports différents vis
à vis du cinéma d'horreur, mais cela a beaucoup à voir avec
l'amour que nous avons d'avoir peur. J'ai une petite fille et même
lorsqu'il s'agit de regarder des dessins animés ou quoique ce soit,
la première question est, 'Est-ce que cela fait peur ?',
parce qu'elle veut que les histoires fassent peur. Nous aimons
également cela. Nous avons peur et nous aimons cela.
Journaliste :
Parlez-moi de la scène dans laquelle Maureen enlève le mode avion
de son téléphone. D'où cette scène vient-elle ? Elle fait
vraiment peur.
Olivier Assayas :
Elle était à peu près dans le scénario comme elle l'est [dans le
film], mais la question était de la faire correctement et c'était
vraiment difficile d'y arriver. J'ai refait la prise genre un million
de fois.
Journaliste :
Simplement pour le timing ?
Olivier Assayas :
Oui, pour le timing. Obtenir le bon timing était juste ridiculement
compliqué, obtenir le timing et à la fin, c'est la seule … J'ai
enfin eu le sentiment que je voulais ressentir cela dans cette prise
lorsque nous avons ralenti. C'est le seul écran de téléphone dans
le film qui est en fait ralenti parce que cela donne ce genre de
vibration étrange, et vous savez, je me souviens de ce gars des
effets spéciaux. Il est venu me voir, 'Je suis désolé qu'il y
ait ce genre de vibration, nous allons y remédier, nous allons bien
faire les choses' et j'ai dit,
'Non, non, non, non, non gardez la vibration. C'est
génial !'.
Les
téléphones ont créé, à bien des égards, beaucoup de
possibilités pour les réalisateurs et ils ont également saisi
beaucoup d'opportunités. Je vois des gens dans le genre de l'horreur
souvent aux prises avec la façon d'utiliser un téléphone. Souvent,
le but est simplement de se débarrasser d'un téléphone et de dire,
'Je ne peux avoir aucune réception',
alors le téléphone est retiré pour le reste du film.
[Rires]
Ouais, exactement. Je sais.
Journaliste :
Et pourtant dans votre film, c'est presque nécessaire, il s'agit de
cette métaphore à propos de la connexion avec une autre entité.
Suis-je en train de lire cela correctement ?
Olivier Assayas :
Oui ! Oui tout à fait, tout à fait. Je joue légèrement avec
cette communication entre deux époques différentes. Je veux dire ce
film est dans cette zone étrange dans laquelle vous dialoguez avec
la fin du 20ème siècle, ce qui est vraiment la période où les
gens prenaient au sérieux la communication avec un autre monde. Il y
a cette fenêtre dans le temps entre le milieu du 19ème siècle et
les premières années du 20ème siècle lorsque les gens prenaient
simplement très sérieusement la possibilité de communiquer avec
les esprits. Cela n'était pas quelque chose de mystique ou de
bizarre ou quelque chose du genre. Cela a été lié avec la
technologie moderne. Cela a été considéré au même niveau que
l'invention de la photographie à rayons X ou l'invention de la
communication radio. J'ai donc utilisé cette période comme une
source d'inspiration parce que je voulais les personnages du le film
pour discuter du surnaturel ou un monde parallèle, ou peu importe
comment vous l'appelez, comme un fait. Comme quelque chose de solide.
Journaliste :
Pourquoi ne pas simplement faire le film comme un film d'époque ?
Olivier Assayas :
Oh non, j'étais intéressé par le fait de projeter cela dans le
monde moderne. Je veux dire en utilisant le passé pour interroger le
présent.
Journaliste :
Pourquoi est-ce si intéressant pour vous de faire de Kristen Stewart
l'assistante personnelle de quelqu'un ?
Olivier Assayas :
Ouais, c'est une bonne question. Je ne sais pas pourquoi. [Rires]
Cela s'est juste passé comme cela. Je pense qu'elle est le contraire
de beaucoup de stars de cinéma. Elle est très … Elle est
tellement présente. Elle est franche. Elle est tellement simple.
Avec elle, elle ne m'inspire pas beaucoup de personnages qui sont
plus grands que la vie. Elle m'inspire [à écrire] quelqu'un qui
fait partie de la foule et je pense que c'est parce qu'elle est
belle, qu'elle a une telle présence puissante, mais en même temps,
elle a les pieds sur terre. Elle est normale. Alors je pense que
c'est vraiment intéressant de la rendre moins glamour parce que je
pense qu'elle est quelqu'un avec lequel vous pouvez vous identifier
sur un plan humain très simple, naturel.
Journaliste :
Qu'avez-vous prévu pour le troisième épisode de la trilogie
'Kristen Stewart Est Une Assistante Personnelle' ?
Olivier Assayas :
[Rires] Cela devrait être une trilogie.
Journaliste :
Vous n'êtes pas obligé de vous précipiter. Vous avez le temps.
Olivier Assayas :
Je veux faire un film d'époque. Je veux faire un film d'époque avec
Kristen.
Journaliste :
Pouvez-vous me dire ce que vous avez à l'esprit … ?
Olivier Assayas :
Non, non, non, je n'en ai aucune idée. Ouais, voilà le concept.
Journaliste :
Je paierais pour voir ça. Personal Shopper
a eu des réactions très polarisantes. Est-ce satisfaisant en tant
que réalisateur ? Est-ce frustrant ?
Olivier Assayas :
C'est Cannes. C'est Cannes, vous savez ? Que puis-je dire ?
Je vais à Cannes depuis que j'ai 20 ans ou quelque chose comme ça,
que j'ai à peine 20 ans alors je vais là-bas depuis un certain
temps. [Pense] Vous ne faites pas des films pour être consensuel,
vous ne faites pas des films pour créer des divisions non plus. Mais
vous ne savez pas ce que vous avez fait. Maintenant, en regardant en
arrière dessus, je ne pense pas … Je pense que c'est un film qui
est un défi. Je pense que c'est la partie qui me rend heureux.
Alors, honnêtement, je suis plus heureux d'avoir un film qui crée
des tensions car au moins A/ le film est vivant, B/ il a un public
qui est vivant. Il y a des gens qui, genre, ne dorment pas pendant le
film ou quelque chose du genre. [Rires]
Mais
ensuite vous êtes toujours plus heureux quand les gens comprennent
exactement ce que vous avez fait et s'en soucient ou quelque chose
comme ça. Mais, vous savez, le cinéma, c'est prendre des risques et
je viens d'une culture où la prise de risques est quelque chose qui
a été respecté ou apprécié ou c'était un plus. Ici, maintenant,
je pense que peu à peu les gens n'aiment pas que vous preniez des
risques. Vous savez, c'est plus, 'Pourquoi vous ne le
faites pas de la façon habituelle ? Pourquoi vous ne racontez
pas cette histoire d'une manière normale ? Pourquoi nous
surprendre ?'.
Journaliste :
Mais ensuite, nous nous plaignons, 'Oh, il fait la même
chose que ce qu'il fait habituellement'.
Olivier Assayas :
Ouais, c'est Cannes. [Rires] C'est Cannes. Vous ne savez jamais ce
qu'il va en ressortir.
Journaliste :
Et après ? Est-ce qu'on en viendra au film d'époque ?
Olivier Assayas :
Il y a quelques années, j'ai écrit et préparé un film qui a en
quelque sorte subi un coup d'arrêt la veille du tournage, ici au
Canada, qui était un film international coûteux. Il pourrait de
nouveau être d'actualité alors je suis en quelque sorte impatient.
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