mercredi 14 décembre 2016

Personal Shopper : Interview d'Olivier Assayas avec Courte Focale

A l'occasion de la promotion française de Personal Shopper, Olivier Assayas évoque Kristen Stewart et leur collaboration, le tournage, le rôle de Maureen, la mode, le surnaturel et son métier de réalisateur dans une interview avec Courte Focale. 
  
Pour découvrir l'intégralité de l'interview d'Olivier Assayas sur le site du Courte Focale, cliquer ICI

[ENTRETIEN] Olivier Assayas (Personal Shopper)
Reparti de Cannes avec un Prix de la mise en scène amplement mérité, Personal Shopper aura pourtant bien du mal à échapper à la cruelle étiquette du 'film maudit'. Majoritairement huée par une presse plus encline à célébrer le réalisme social d’un Kleber Mendonça Filho ou à adhérer au fatalisme de plus en plus gonflant d’un Ken Loach (Palme d’Or 2016, on n’est même plus surpris …), la première incursion d’Olivier Assayas dans le cinéma fantastique ne sera pas passée bien loin du bonnet d’âne – Sean Penn lui aura heureusement damé le pion à ce jeu-là. On peut comprendre ce qui a pu dérouter une large partie de la critique, mais on peut de moins en moins admettre qu’une proposition cinématographique relative au genre et à son abstraction sous-jacente continue d’être reçue sur la Croisette avec autant de mépris et si peu de considération. Le voir débarquer en salles le même jour que le blockbuster le plus médiatisé de 2016 était le coup fatal qui ne manquerait pas de l’achever. Or, qu’on y soit réceptif ou pas, voilà un film atypique que l’auteur de ces lignes tient à défendre bec et ongles. Parce qu’il exprime un désir inédit de cinéma dans la façon de saisir la place de l’invisible et du surnaturel dans le monde contemporain. Parce qu’il consacre définitivement Kristen Stewart comme l’une des plus grandes actrices vivantes. Et surtout parce qu’Olivier Assayas, au-delà de son talent de cinéaste, est un artiste dont chaque évocation de son travail est aussi subtile et précieuse que ne l’est déjà son film. A l’occasion d’une avant-première lyonnaise, et comme avec Sils Maria deux ans plus tôt, notre face-à-face avec lui fut un grand moment.
Journaliste : A la fin de Sils Maria, on quittait Kristen Stewart sur la mystérieuse disparition de son personnage. Pour cette seconde collaboration avec l’actrice, vous avez cette fois-ci inversé les rôles : c’est désormais son personnage qui se confronte à l’invisible et qui se retrouve hanté par lui. En cela, l’envie de tourner à nouveau avec Kristen Stewart découlait-il précisément de la scène finale de Sils Maria ?
Olivier Assayas : A vrai dire, oui et non. C’est une histoire qui est tout de même un peu plus compliquée que cela, et en même temps, on pourrait éventuellement la résumer comme vous le faites. Mais la façon dont ça s’est passé découle directement de ce qui a suivi la présentation de Sils Maria à Cannes. J’avais fini le film juste à temps pour qu’il soit sélectionné au mois de mai 2014, et dès la rentrée, en septembre, j’ai commencé à préparer un autre film, un polar américain qui s’appelait Idol’s Eye et que je devais tourner dans les environs de Toronto. J’ai travaillé sur ce film pendant deux mois, et hélas, il a finalement été annulé à la veille du tournage en raison de la 'bizarrerie' du financier américain avec lequel on travaillait. Avec le recul, j’en arrive à admettre qu’il aurait mieux valu travailler dès le départ avec des gens plus fiables. Toujours est-il que comme ce projet a fini par tourner court [NDLR : initialement prévu avec Robert De Niro, le film est aujourd’hui de nouveau en pré-production avec Sylvester Stallone dans le rôle principal], je devais savoir ce qui allait désormais me porter afin de pouvoir rebondir de façon positive. J’ai donc commencé à écrire quelque chose à propos d’une femme américaine vivant en Europe, et du coup, ma source d’inspiration fut évidemment Kristen Stewart car c’était le seul modèle que j’avais en tête pour écrire ce personnage. Mais je n’étais pas encore sûr de faire ce film avec elle : je ne savais pas si ça allait l’intéresser, si le scénario ne lui semblerait pas un peu trop bizarre, ou même si elle serait disponible pour faire le film. En outre, comme la question budgétaire était précisément ce qui avait fait capoter le projet précédent (étant donné qu’on n’avait pas l’argent nécessaire pour faire le film), je me suis dit que j’allais devoir écrire sur un canevas plus modeste, plus raisonnable, plus rationnel. A ce moment-là, j’avais envie de tourner très rapidement, mais j’ai quand même attendu d’avoir achevé l’écriture pour donner le scénario à Kristen. Je voulais être certain que ce film était écrit pour elle, et au vu de la façon dont elle l’a immédiatement adopté, l’évidence m’a sauté aux yeux : j’avais bel et bien écrit ce rôle dans le prolongement de Sils Maria. Sincèrement, je ne le savais pas au départ, je ne voulais même pas l’admettre. Mais au final, je me devais d’admettre qu’il y avait ici un vrai écho.
Journaliste : Le personnage de Maureen est de tous les plans du film, mais conserve malgré tout une certaine abstraction, tant dans son look vestimentaire (qui évolue durant tout le film) que dans sa psychologie (qui reste très fluctuante). En cela, on peut la voir moins comme un personnage que comme une projection, une image perdue elle-même dans un monde d’images.
Olivier Assayas : Oui, en effet, on peut le formuler ainsi. Mais d’un autre côté, c’est surtout quelqu’un qui est obligé de se réinventer totalement, de se métamorphoser si j’ose dire. C’est parce que, tout à coup, elle n’est pas simplement en train de subir le deuil d’un ami, d’un proche ou d’un parent. C’est plutôt comme si elle avait perdu la moitié d’elle-même : le défunt est ici son jumeau, qui se trouve par ailleurs être un garçon – ce qui n’est clairement pas neutre dans le récit. Du coup, elle est vraiment déterminée par la nécessité de vivre son deuil, d’aller jusqu’au bout de ce qui l’a rattachée à son passé et d’y être fidèle. Et en même temps, elle réside dans une ville qu’elle ne connait pas et elle est habitée par quelque chose qui est relié au rapport avec l’invisible. Donc, oui, on passe tout le film avec un personnage qui ne se connait pas lui-même, d’une certaine façon, et qui va peu à peu saisir quelque chose sur ce qui sera désormais son identité. Cette identité concerne aussi le terrain sexuel, puisqu’elle passe son temps à s’interroger sur la personne avec qui elle communique. Est-ce un homme ou une femme ? Est-ce tangible ou intangible ? Il y a là un désir qui se construit, et qui, évidemment, la construit elle-même petit à petit.
Journaliste : Comment avez-vous vécu l’accueil glacial du film au festival de Cannes ?
Olivier Assayas : En ce qui concerne la projection de presse, je n’y étais pas, mais j’ai eu des échos de ce qui s’était passé. Certaines personnes qui y étaient et que j’ai rencontré par la suite avaient l’air traumatisées ! (rires) Honnêtement, j’ai toujours l’impression qu’à Cannes, il vaut mieux venir avec un film social pour ne pas rencontrer ce genre d’accueil. Je pense que les gens sont tellement coupables de faire la bringue, d’aller dans des soirées et de boire du champagne, et du coup, ils ont toujours besoin qu’on leur rappelle à quel point le monde souffre et de pouvoir ainsi se sentir solidaires de cela. Dès qu’on arrive à Cannes avec du cinéma de genre, ce n’est généralement pas apprécié, et encore plus si l’on parle de choses abstraites ou peu concrètes. J’ai encore en mémoire ce que fut l’expérience de Demonlover, dont la réception critique avait été largement pire que celle de Personal Shopper ! Néanmoins, Cannes est un environnement génial, et même si l’on connait à l’avance les règles du jeu dans le fait d’être en compétition, le fait de s’exposer là-bas constitue un avantage pour faire connaître le film. Je garde un souvenir idyllique de la projection du soir : le film a été très bien accueilli, les réactions ont été très fortes, et pour couronner le tout, le film s’est vendu dans le monde entier et on a même reçu un prix en fin de parcours !… Du coup, il aura fallu un certain temps pour que les choses trouvent leur équilibre, mais c’est ce qui arrive toujours à Cannes. Par ailleurs, le film était hyper attendu, et cela crée toujours des remous lorsque l’attente est trop forte. Mais encore une fois, pour ce film-là, Cannes a été extrêmement bénéfique … De toute façon, j’ai tout vécu à Cannes, donc j’estime être blindé de ce côté-là ! (rires)

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